Ma mère allait encore bien mais comme elle ne pouvait plus sortir, elle trouvait la solitude difficile à supporter. Cherchant une solution j’ai aperçu une affiche de « Vivre Avec » à l’accueil de l’Université du temps libre. Je lui en ai parlé. A cette époque elle n’a pas donné suite. C’est alors qu’elle s’est cassée le col du fémur, elle avait beaucoup de mal à se déplacer même après plusieurs semaines de centre de rééducation.
Il m’est arrivé de la retrouver par terre. Heureusement que ce jour-là j’avais prévu de passer pour l’aider à se mettre au lit. Elle m’a expliqué qu’elle était par terre depuis assez longtemps et qu’elle avait essayé en vain d’attraper le téléphone (A ce moment-là, elle n’avait pas encore la téléassistance.) Je n’arrivais pas à la relever donc j’ai dû appeler le voisin.
Ensuite malgré la présence d’une aide à domicile, la télésurveillance et les infirmiers qui venaient un fois par jour la situation devenait difficile.
Le soir l’aide à domicile lui servait le repas et essayait de la faire manger assez vite pour l’aider à se coucher. Quand elle ne pouvait pas venir, c’est moi qui prenais le relais. Par exemple, le mardi car j’étais chez mon compagnon qui habite à un quart d’heure de chez ma mère. Je lui servais le repas, la laissais manger tranquillement puis je revenais pour l’aider à se mettre au lit. Je faisais sans cesse des aller- retour, je n’en pouvais plus.
J’ai essayé de trouver une place dans une maison de retraite que je connaissais car une de nos cousines y avait séjourné. Mais en deux ans l’ambiance de cet établissement avait changé. La plupart des résidents étaient atteints de graves troubles psychologiques. Cet environnement perturbait ma mère qui restait enfermée dans sa chambre et sombrait dans la dépression. Je trouvais que les responsables de l’établissement n’aidaient pas ceux qui étaient lucides. Ce qui me choquait beaucoup c’était la cohabitation dans la salle à manger des personnes cohérentes et celles qui étaient confuses.
J’ai voulu sortir ma mère de la maison de retraite parce que cela me faisait mal au cœur de la voir là-bas alors qu’elle n’avait rien à y faire. Elle avait du caractère et elle s’ennuyait beaucoup, elle aimait bien gérer sa maison, son jardin, elle avait des projets : faire repeindre ses volets, faire venir le jardinier…Mais tout le monde me disait «tu ne peux pas», «il ne faut pas», «elle va s’habituer».
Je ne voyais pas comment faire pour qu’elle soit en sécurité à la maison malgré la télé assistante, les infirmiers, l’aide à domicile, c’est une présence un peu au quotidien qui manquait. Je n’envisageais pas d’aller habiter avec elle. C’est alors que je me suis rappelé de l’association « Vivre Avec ». La maison était pratique pour accueillir quelqu’un puisqu’on avait installé la chambre dans la salle à manger, avec un WC et un cabinet de toilette L’étage possédait 3 chambres un cabinet de toilette avec un autre WC.
J’en ai parlé à ma mère, elle avait un mauvais souvenir d’un étudiant en médecine qu’elle avait hébergé quelques années auparavant et qui avait abusé du Minitel rose. Mais je réalisais qu’avec l’association on aurait une garantie. J’ai dit « écoute il y a une association pour résoudre les problèmes, on va contacter les responsables ». De toute façon c’était la condition pour qu’elle rentre chez elle, alors elle a accepté.
Au départ je pensais que l’association travaillait avec des étudiants en médecine, car il y des bruits qui courraient dans ce sens. Ce n’est pas que je souhaitais une présence médicale mais je me disais que si elle avait un malaise, il saurait comment réagir. Quand j’ai appris que le premier étudiant étudiait l’informatique, je me suis demandé s’il saurait réagir. Plus tard quand elle est tombée ou a eu un malaise les étudiants qui étaient présents ont su comment faire.
Un rendez vous a été pris rapidement bien que ma mère ne soit pas revenue chez elle.
Après une visite de son domicile, on nous a présenté Julien. Il avait besoin d’un logement immédiatement mais le directeur de la maison de retraite ne comprenait pas notre décision. Il a exigé un mois de préavis, c’est pour cela qu’elle est restée encore un mois alors que Julien était déjà arrivé. Il est resté tout seul pendant 3 semaines, je passais voir si tout allait bien. Il n’y a eu aucun problème.
Dans l’ensemble la cohabitation avec les étudiants s’est bien passée hormis avec Sylvia et Marjolaine. Marjolaine était très gentille au début, elle a même promené ma mère dans le quartier et après c’est très curieux mais il a dû se passer quelque chose parce qu’un jour elle a dit à ma mère « moi il faut que je fasse ma formation, le soir il faut que je m’occupe de moi et je n’ai pas le temps de m’occuper de quelqu’un d’autre ». Est-ce le fait que l’autre étudiante n’ait pas respecté ses engagements de départ, c’est-à-dire qu’elle ne devait être là que 15 jours par mois. Sylvia partait à 6h, ma mère me disait qu’elle ne faisait pas trop de bruit, c’était bien. Elle rentrait à 14h, disait bonjour et montait ensuite dans sa chambre, elle ne redescendait que le soir pour faire son repas. Avec Mme Renet on lui a demandé si elle ne pouvait pas descendre à 16h proposer le goûter, faire un thé. C’est vrai que ma mère avait pris l’habitude de discuter avec Julien qui était tellement gentil et là elle s’est retrouvée face à ces deux filles distantes. Vous avez été très réactifs lors de cette situation difficile. La présence de Julien avait rendu les journées de ma mère agréables aussi elle voulait continuer, mais sur le coup elle a dit « moi je ne veux plus de fille ».
Heureusement les autres étudiants l’aidaient, notamment pour le repas, bien qu’il y ait quelqu’un pour le préparer. Sébastien qui est infirmier l’aidait à se coucher Juliette, qui est venue ensuite, a continué à le faire. Mais ma mère ne me le disait pas. J’ai dit à Juliette « vous n’êtes pas là pour ça », je ne voulais pas transgresser les règles de l’association, elle m’a répondu « non, non cela ne me gêne pas ».
Julien, n’a plus donné de nouvelles, Camille non plus, mais Amina lui a envoyé une carte de vœux, Jonathan continue d’aller la voir en maison de retraite, Juliette et Sébastien prennent de ses nouvelles.
C’est incroyable qu’elle se soit bien entendu avec ces jeunes. Ma mère n’a jamais voulu que je l’aide, elle a toujours voulu garder son autonomie.
Grace à la formule de l’association elle sentait qu’elle restait maîtresse de la situation en étant chez elle mais elle pouvait demander de l’aide.
Je passais par exemple la semaine ou le vendredi pour ceux qui partaient le week-end. J’avais un contact régulier avec les étudiants, j’avais leur téléphone et ils pouvaient me joindre en cas de besoin. Il y avait une entente, une complicité entre eux, et moi je n’avais pas besoin de tout savoir. Quelques fois je posais des questions.
J’ai un avis très favorable de l’association « Vivre Avec ». La présence de l’étudiant me sécurisait, et me permettait de souffler un peu ; Quand ils étaient absents on s’arrangeait avec l’aide à domicile pour le repas du soir et le coucher. .. Avant qu’on choisisse de mettre l’action en place je n’en pouvais plus et j’étais inquiète de laisser ma mère seule la soirée et surtout la nuit. Ils ont tous été efficaces et ne m’ont jamais dépossédée de mon rôle de fille.
J’ai trouvé que tout le monde était très présent, de plus, pendant la période où il y a eu des problèmes avec les étudiants, une solution a été vite trouvée.
A l’époque où les familles sont éclatées cet échange inter génération est très profitable pour tous. Le jeune trouve un contact avec une autre génération et la personne âgée reçoit un souffle de jeunesse La présence des étudiants a permis à ma mère de rester encore chez elle pendant quatre ans au lieu d’être en collectivité. Son état de santé nécessitant une présence médicale constante nous avons dû arrêter la cohabitation.